Ile Maurice: Kaya, la légende en lecture

Article : Ile Maurice: Kaya, la légende en lecture
Crédit: Photo: CR
17 février 2022

Ile Maurice: Kaya, la légende en lecture

21 février 1999. Cela fait 23 ans que le chanteur Kaya a trouvé la mort dans des circonstances aussi mystérieuses que tragiques. Malgré les années, l’artiste reste présent dans la mémoire et dans la chair de la société mauricienne, si bien que le 21 février vient d’être décrété Journée nationale du seggae, mix entre le reggae et le sega. Des intellectuels aux artistes, chaque Mauricien s’est approprié février 1999, engendrant ainsi une production foisonnante et conférant au chanteur le statut de légende. Regards sur trois livres, visions multiples d’un Kaya multiple.

Regards sur trois livres, visions multiples d’un Kaya multiple.
Regards sur trois livres, visions multiples d’un Kaya multiple.

1. Les Jours Kaya (2000)

Les Jours Kaya de Carl de Souza, nous porte à la rencontre d’une ribambelle de personnages. Santee, Ram, Ma, Nation, des Taiwanaises, des Chinoises, entre autres. Les toponymes sont familiers : Rose-Hill, Balfour, Plaza, Trèfles, route Hugnin. Ce qui m’a frappée dans ce livre, c’est surtout son écriture, d’une traite, sans chapitres ou parties.

Février 1999, où « il se passait quelque chose d’inhabituel, quelque chose dérangeant les saisons » sert de contexte à ce roman. De Souza, d’une plume acérée et sans filtre, parle des préjugés racistes et des non-dits qui gangrènent encore la société mauricienne. «ils l’ont battu, moi je te dis qu’il était sûrement en manque, non ils lui ont éclaté la gueule, personne n’a vu, ils l’ont laissé crever, tu déconnes, ils l’ont fait à d’autres avant c’est pas le premier, c’est pas le premier Créole qui crève en prison »  

Les Jours Kaya, « ces jours sans loi, mais avec beaucoup de feu » est un roman complexe et désorientant. Il nous transporte au cœur du chaos des émeutes de février 1999. Un épisode important et dérangeant de l’histoire mauricienne qui demeure encore toutefois largement tabou.

2. Kaya, autopsie d’une légende (2009)

Ecrit par le journaliste Sedley Richard Assonne, Kaya, autopsie d’une légende, regroupe plusieurs articles de presse, des articles scientifiques, des poèmes et des interviews, tous en lien avec le seggaeman et aux tragiques évènements de février 1999. Le livre traite également du fameux concert de Rose-Hill, évènement déclencheur des jours Kaya.

Bien plus que ces articles mentionnés plus haut, c’est surtout l’avant-propos du livre qui nous touche. En effet, Assonne raconte le fil des évènements, vécu par le journaliste qu’il était alors. Du premier coup de téléphone où il apprend la mort de Kaya, à la nuit passée à dormir dans le van de l’express, aux difficultés rencontrées pour circuler dans une île Maurice embrasée, paralysée par des révoltes civiles… Le récit d’Assonne est exceptionnel. Il retraduit aussi l’angoisse, la peur et la tension qui s’étaient emparée de l’Ile Maurice en ces temps troubles.

Une fois n’est pas coutume, je finirai par le commencement. La dédicace de Kaya, autopsie d’une légende. Une litanie de noms en guise de dédicace. Et pour cause, l’auteur a dédié son œuvre « à la mémoire de tous ceux décédés en cellule policière, avant et après Kaya ». Une liste qui est malheureusement trop longue. Beaucoup trop.

3. Kaya, ant sime lamizer ek sime lamimier (2020)

La dernière œuvre que je vous présente est un excellent recueil d’articles publiés par la Créole Speaking Union. L’originalité de ces publications est qu’elles sont toutes écrites en créole mauricien. Sorti en 2020, sous la direction de Christina Chan-Meetoo, Senior Lecturer, à l’Université de Maurice, ce livre présente plusieurs facettes de Kaya.

La lecture est grandement facilitée à renfort d’extraits manuscrits de l’agenda de Kaya, ainsi que de nombreuses photos en couleur, jusque-là très peu connues. Sans surprise, nous découvrons un homme profondément philosophe, avec un regard très lucide sur le monde, la société qui l’entoure, ainsi que les maux qui gangrènent celle-ci. Les mots que Kaya écrit à son fils, alors que ce dernier était encore en gestation dans le ventre de sa mère, sont particulièrement touchants.

Kaya, ant sime lamizer ek sime lalimier propose également des analyses de certaines paroles de Kaya. Cet exercice démontre, une fois de plus, l’immense richesse littéraire, culturelle et intellectuelle des textes du seggeman. Que soit sa musique, ou ses textes, on ne peut rester insensible aux productions et aux réflexions de Kaya. Elles sont intemporelles et d’une grande profondeur.

Tous ces livres nous montrent que Kaya était un être profondément humain, avec ses défauts et ses qualités, comme nous tous. Son génie, son talent, son regard avant-gardiste sur la société mauricienne, ainsi que sa mort tragique en ont fait une légende. Que ce soit la Journée nationale du seggae ou tout autre jour, que ce soit lors d’un bœuf entre amis, ou d’évènements nationaux, Kaya s’invite toujours. Naturellement. Instinctivement.

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