Ile Maurice: la lobotomisation intellectuelle vue par Natacha Appanah

Article : Ile Maurice: la lobotomisation intellectuelle vue par Natacha Appanah
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9 juillet 2017

Ile Maurice: la lobotomisation intellectuelle vue par Natacha Appanah

J’aimerais tant qu’elle ait tort. Mais c’est une évidence: Natacha Appanah a raison. Regards incisifs sur le système éducatif mauricien où la culture de la performance et de la compétition engendre une lobotomisation intellectuelle.

Nul n’est prophète en son pays. Ce n’est pas la talentueuse Natacha Appanah qui vous dira le contraire. L’auteure prolifique était de retour au bercail, à l’Ile Maurice, la semaine dernière, le temps de quelques conférences, ateliers et rencontres, entre autres. L’une de ces rencontres était d’ailleurs avec les élèves du Queen Elizabeth College, considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs lycée de l’Ile Maurice.

Et pourtant, ce qui aurait dû être un moment d’échange et de dialogue entre auteure et élèves a vite tourné en sorte de procès de Natacha Appanah!! Au moyen d’une chronique, la jeune femme livre ses impressions, sans détour:

Mais en réalité, il y a eu peu d’échange et encore moins de spontanéité. Les filles étaient passives mais après tout peut-être étaient-elles timides. Je n’ai pas compris le ricanement étouffé quand j’ai dit que j’avais fait ma scolarité dans un autre collège. J’ai été un peu surprise que la responsable du département dise, tout de go, que mon dernier roman est « osé » avec des passages « sexuels » et qu’il choquerait les lycéennes. Qu’elle déclare qu’il n’était pas en « véritable prose ». Un autre professeur a parlé d’un de mes personnages comme « agaçant » parce que trop faible, selon lui. Une autre pensait qu’il n’y avait pas assez de ceci et trop de cela. J’avais l’impression d’être devant un jury, interprétant mes romans, imposant son opinion à des élèves qui ne les avaient pas découverts.

Voilà où nous en sommes dans les lycées de l’Ile Maurice en 2017 ! Quelle honte pour ces pseudos profs, autoproclamés critiques littéraire et juges alors qu’ils n’étaient visiblement pas préparés à cette rencontre… Pire, dire que le dernier roman de l’auteure, trop « osé », choquerait les prudes lycéennes (à ce rythme, elles ont dû tomber dans les pommes en lisant Roméo et Juliette de Shakespeare!) Excusez-moi, mais on n’est pas au pays des bisounours. Et tant que l’auto-procréation humaine instantanée n’existera pas, le sexe fera partie de la vie !

Justement, cette rencontre avec Natacha Appanah était une formidable occasion d’apprendre de la vie… d’un auteur! Ce n’est pas tous les jours que l’on a la chance d’avoir devant soi une écrivaine en chair et en os, et de laquelle il y a tant à découvrir. Quel gâchis pour ces élèves! Inconscientes de leur chance, elles semblent aussi incapables de voir plus loin que les… examens:

Quand la première étudiante a levé la main, c’était pour demander quels conseils je pouvais lui donner pour avoir de bonnes notes car elle devrait étudier un de mes textes l’année prochaine. J’ai compris que cette assistance n’était pas là pour échanger sur la littérature, la lecture, sur le métier d’écrivain. Il n’y avait aucun enjeu d’évaluation à cette rencontre donc elle n’était pas préparée. Aucun de mes textes n’avait été lu car aucun n’est au programme. Étaient-elles, ces filles-là, restées dans cette culture de la performance et de la compétition inculquée dès leur jeune âge ? Étaient-elles si détachées, si blasées, si peu intéressées par les histoires et pressées de retourner à ce qui allait vraiment « compter » pour ces examens ?

Oui. C’est la réponse que je donnerai à Natacha Appanah. Ces élèves sont victimes d’une sorte de lobotomisation intellectuelle, où tout ce qui compte se résume aux examens, aux notes et aux classements. Nul place pour la découverte, pour l’esprit critique et pour la rencontre de la vie et des autres. Nul place pour l’épanouissement d’un petit Raj du Dernier frère.

Non, personne n’a appris à ces jeunes filles qu’elles pouvaient lire pour lire, lire sans que ce soit un devoir, lire pour être au monde.

Retrouvez l’intégralité de la chronique de Natacha Appanah, publiée dans La Croix, ici.

 

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