La rue St Georges et moi

Article : La rue St Georges et moi
Crédit: CR
22 avril 2022

La rue St Georges et moi

Rue St-Georges.
La rue-St-Georges, mythique et vivante. Photo: CR

Rue Desforges, Rue La Poudrière, Rue La Corderie. Il est de ces rues port-louisiennes mythiques et populaires. Elles appartiennent tellement aux Mauriciens, que malgré quelques changements de noms, ces rues ont gardé leurs appellations d’antan. Forgeries, fabrication de poudre à canon et de cordes pour les marins, ces noms témoignent d’autant de corps de métiers du Port-Louis maritime du 18e siècle.

Le 23 avril, nous fêtons la St Georges. La rue St Georges fait partie de ces rues mythiques, à valeur historique et patrimoniale inestimable. Cependant, ce patrimoine semble vivre ces derniers instants. Les anciennes bâtisses en pierres et en bois sont rasées pour faire place à de grandes aires de parkings ou à d’immenses immeubles en béton, sans âme ni charme. J’écris ces lignes avec une sorte d’urgence contre le temps. J’ai la sensation d’être de la dernière génération à admirer de visu ce qui reste de ces maisons et bâtiments historiques de la rue St Georges, et qui, dans un proche avenir, ne seront plus.

Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs d’enfance, aller à Port-Louis a toujours été une fête. Mon père, qui travaillait dans un magnifique bâtiment en pierre, avait eu la géniale idée de nous y emmener, ma sœur et moi, quelque fois pendant les vacances. Cette escapade était aussi l’occasion pour nous d’aller au Musée de Port-Louis. Nous étions émerveillés devant tant d’animaux, dont un dodo et une énorme carcasse d’un gigantesque cachalot. C’est sans doute de ces moments heureux de l’enfance, que me vient cet amour pour le patrimoine architectural, les vieilles pierres et pour l’histoire en général.

Consulat de France

A l’adolescence, c’est à la rue St Georges que j’ai pu admirer ces belles bâtisses. Non pas que j’ai délibérément choisi d’aller à la rue St Georges, mais c’est plutôt la rue St Georges qui s’est naturellement invitée à moi. En effet, il fut un temps où mon père y travaillait et où mon quotidien matinal était concentré dans cette rue. Mon tonton Christian nous déposait devant la belle église de l’Immaculée Conception, et de là, chacun vaquait à ses occupations port-louisiennes.

Ex Consulat de France, rue St Georges.
Ex Consulat de France, rue St Georges. Photo: CR.

Pour ma part, c’était direction la médiathèque du Consulat de France où la jeune que j’étais empruntait quelques fois livres et magazines. J’aimais beaucoup ce bâtiment, avec son toit en bardeaux, son plancher en bois et le magnifique carrelage de la varangue. J’admirais également la magnifique balustrade en fonte qui ornait la galerie. Ce bâtiment est le parfait exemple des belles maisons créoles, telles qu’il en existait jadis de multiples à la rue St Georges. Je m’y sentais comme chez moi et je m’y étais fait des amis.

Sous la varangue de l'ex Consulat.
Sous la varangue (porche) de l’ex Consulat. Photo: CR.

Une fois jeune adulte, la rue St Georges continuait à s’inviter à mon rituel matinal. C’était le point de rammassage pour la navette qui allait me conduire au boulot. J’avais gardé l’habitude de passer au Consulat tous les matins pour papoter une dizaine de minutes, juste avant de prendre la navette. C’est lors de ces matins qui pouvaient sembler routiniers que j’ai pris le temps d’admirer les belles maisons de la rue St Georges.

St Georges, mangues et meurtre

Certes, il y avait d’abord mon « chez moi », le Consulat, mais il y avait aussi, juste en face, cette petite maison créole abandonnée, mystérieuse. Plus petite et moins pimpante que le Consulat, elle se tenait à l’ombre d’un immense manguier que l’on disait centenaire. On racontait aussi qu’un meurtre y avait eu lieu jadis. Le propriétaire de la maison aurait surpris quelqu’un qui volait des mangues et l’aurait abattu d’un coup de fusil. Je regardais donc cette vieille maison coloniale avec autant d’admiration que d’appréhension. A travers la grille d’entrée, je pouvais apercevoir un vieux fauteuil poussiéreux en rotin. Il trônait là, au milieu de la varangue où étaient jonchées pêlemêle feuilles sèches, mangues pourries et fientes de pigeons. Je m’imaginais que le propriétaire était présent, assis dans son fauteuil, fusil en main, aux aguets du voleur de rue St-Georges…

La maison-château

A quelques pas de cette maison se trouvait une autre ancienne bâtisse, mi-cachée à l’ombre de grands sapins et palmiers. A l’architecture coloniale française, cette maison à étage, avec son toit en bardeau, ses lambrequins blancs et ses immenses colonnades au rez-de-chaussée, avait de faux airs de maison-château. La splendeur d’une telle architecture témoignait à la fois de son ancienneté et de la richesse de ses premiers propriétaires. Je trouvais étonnant que cette belle maison servait de siège à une agence de publicité – un domaine symbolisant par excellence l’air du temps, le présent. De plus, je voyais souvent deux grosses cylindrées noires à deux roues dans la cour de la vieille bâtisse. Elles détonnaient. Cette sorte d’anachronisme me faisait sourire.

Ce sont celles qui ont le plus compté pour moi. Elles font toutes trois partie de mon vécu, de mon histoire à la rue St Georges. Aujourd’hui, le Consulat de France a déménagé, mais le bâtiment est toujours là, dans toute sa splendeur. La petite maison créole, fut un temps transformée en restaurant-brasserie, mais il est aujourd’hui fermé et le manguier centenaire abattu. La maison-château est quant à elle abandonnée, croulant sous le poids des siècles, et vouée à la décrépitude.

Mais il n’y a pas qu’elles. La rue St Georges recèle d’autres petits bijoux architecturaux. A valeur historique et patrimoniale inestimable, ils se font de plus en plus rares, mais ils sont encore là. Ces bâtisses de la rue St Georges ont su défier le temps, mais pour combien d’années encore…

Les belles dames de la rue St Georges. Photo: CR.
Cure de l'église de l’Immaculée Conception.
Cure de l’église de l’Immaculée Conception. Photo:CR.
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