L’ex-Hôpital militaire : le plus ancien bâtiment des Mascareignes !
Le doyen des bâtiments des Mascareignes fête en ce mois de juin ses 283 ans. Il s’agit de l’ex-hôpital militaire, construit sous Labourdonnais. Suivez-moi au cœur de Port-Louis, capitale de l’Ile Maurice, à la découverte de ce joyau historique.
283 ans. C’est l’âge de l’ex-hôpital militaire de Port-Louis. Aujourd’hui, il est non seulement le plus ancien bâtiment de l’Ile Maurice, mais aussi celui des îles des Mascareignes (Ile Maurice, Ile de la Réunion et Ile Rodrigues). Inauguré en juin 1740, l’ex-hôpital militaire fait partie des trois premiers bâtiments port-louisiens construits par le Gouverneur Mahé de Labourdonnais (1). D’ailleurs, avant la prise de l’île par les Anglais, l’établissement s’appelait Hôpital du Roy ou Hôpital Labourdonnais.
Mahé de Labourdonnais fut Gouverneur-général des Mascareignes de 1735 à 1746. Il est largement reconnu pour avoir doté l’Ile Maurice d’une capitale digne de ce nom. Labourdonnais modernisa Port-Louis en lui dotant d’excellentes infrastructures portuaires, d’un arsenal et surtout d’un hôpital. En voici ce qu’il détaille dans ses Mémoires Historiques :
« L’île de France n’avait point d’autre hôpital; qu’une cabane construite de pieux en forme de palissade, qui pouvait à peine contenir trente ou trente-cinq lits. J’en fis construire un fort commode où l’on put en placer quatre à cinq cents. L’administration de ces hôpitaux m’a donné des peines incroyables, je me suis vu force de changer la régie cinq ou six fois. Je me suis même assujetti pendant une année à y faire journellement une visite, et malgré mes soins assidus, (…) malgré tous mes efforts pour augmenter nos troupeaux, il n’y avait pas assez de bœufs pour entretenir une boucherie journalière et j’étais souvent dans l’obligation de nourrir les malades de tortues et de gibiers. ».
Absence d’eau potable
Outre l’approvisionnement en nourriture, Labourdonnais fit également face à un autre énorme problème : l’absence d’eau potable. Mais rien n’était impossible au grand bâtisseur qu’était Labourdonnais. Il fit ainsi construire un canal afin d’approvisionner Port-Louis en eau potable :
« Le seul canal de l’Isle de France qui conduit des eaux potables au port et aux hôpitaux, est de trois mille six cent toises de longueur, au moyen de cet aqueduc, non seulement l’habitant et les malades ont actuellement à leur porte l’eau qu’on était auparavant oblige d’aller chercher a plus d’une lieue ».
Avec l’inauguration de cet hôpital en 1740, Labourdonnais a démontré qu’il était un administrateur avisé et un grand bâtisseur. Aujourd’hui encore, les magnifiques pierres de taille du bâtiment ne laissent personne indifférent. Lors d’une conférence au Centre Culturel d’expression française, l’architecte Thierry de Commarmond, explique que l’ex-hôpital militaire a été construit sur un modèle architectural breton, mais avec du matériel local. Le sable et les coraux, dont le corail rouge, sont ces principaux matériaux. Les angles des bâtiments, le pourtour des portes, des fenêtres et des arches sont en pierre de taille de basalte local. Les remplissages sont en moellon de corail, hourdis et enduits d’argamasse. Celle-ci est une maçonnerie constituée d’un mélange de chaux et de sable corallien. On l’utilisait à une époque où le ciment n’existait pas encore.
Nouvelle vie
Les Mauriciens peuvent aujourd’hui encore admirer l’impressionnante architecture de l’ex-établissement hospitalier. J’ai ressenti une énorme émotion en voyant les pierres presque tricentenaires de l’ex-hôpital militaire. Ce dernier était initialement constitué de deux ailes, partagées en deux cours. Deux ailes supplémentaires furent ensuite rajoutées au sud (1780) et au nord (1755). L’hôpital était constitué d’un ensemble de bâtiments: l’hôpital des blancs, celui des noirs, une salle de chirurgie, des salles des malades. Il y avait aussi un magasin, une chapelle, des latrines, un lavoir, entre autres. L’aile sud de l’ex-hôpital militaire a été restaurée il y a quelques années, en vue d’y accueillir un musée, et pas n’importe lequel.
Avec le Musée Intercontinental de l’Esclavage, c’est une nouvelle vie qui s’annonce pour l’ex-hôpital militaire. Quelques expositions temporaires y sont organisées, en attendant la grande ouverture du musée. Pour les Mauriciens, à l’instar de Simone, avoir un musée à la mémoire des esclavages était une nécessité. « Je n’arrive pas à croire que des humains ont traité d’autres humains de la sorte. C’est choquant. Sa mem ki zot inn fer zot mieux pou kitt sa la vi-la aller, pour ne pas subir. C’est choquant, mais mo kontan monn vinn isi, guett sa lexposition la.* » Roberto pour sa part aurait aimé voir des vestiges de l’hôpital lui-meme à l’intérieur du musée « Li bien interessant. Bizin konserv sa plas la. Ti bizin gard bann vie zafer, enn vie lili, vie termomet etc.** », propose-t-il.
Apaisement
La symbolique de ce site pour un musée sur l’esclavage est très forte, car l’ex-hôpital est l’un des premiers chantiers sur lesquels les esclaves ont travaillé à leur arrivée à Port-Louis. De plus, l’ex-hôpital a accueilli de nombreux malades et blessés. Qu’ils aient été maîtres, militaires ou esclaves, ils étaient tous soignés dans ce qui était alors l’unique unité de santé et d’hygiène de la colonie. Avoir un musée dédié à l’esclavage dans les locaux de cet ex-hôpital représente symboliquement un pas vers la réconciliation de l’histoire et de la mémoire de l’esclavage à l’Ile Maurice. Tout comme l’hôpital était un lieu de soin et de guérison, le Musée Intercontinental de l’Esclavage contribuera certainement à l’apaisement des plaies de l’Histoire et à la réconciliation d’un pays avec son douloureux passé.
(1) Les deux autres sont l’Hôtel du Governement (1738) et la Boulangerie du Roy. Cette dernière avait ensuite hébergé l’Imprimerie du Gouvernement. Elle fut démolie en 1991 pour céder la place au siège de la State Bank of Mauritius.
Références :
LABOURDONNAIS, de B. (1827): Mémoires historiques de B.F. Mahé de la Bourdonnais, gouverneur des il̂es de France et de Bourbon: recueillis et publiés par son petit-fils.
TOUSSAINT, A (1936) : Port-Louis, deux siècles d’histoire (1735-1935), La Typographie moderne.
*« Je n’arrive pas à croire que des humains ont traité d’autres humains de la sorte. C’est choquant. C’est pour cela qu’ils ont fait de leur mieux pour quitter cette vie et partir, pour ne pas subir. C’est choquant, mais je suis heureuse d’être venue ici pour voir cette exposition. »
**« C’est très intéressant. Nous devons conserver ce lieu. Ils auraient dû aussi garder des anciens objets, tels qu’un vieux lit, un vieux thermomètre, etc »
Commentaires