Georges, Dumas et moi

Article : Georges, Dumas et moi
Crédit: CR
25 juillet 2023

Georges, Dumas et moi

Alexandre Dumas père est né le 28 juillet 1802. Bien qu’il ne soit jamais venu à l’Ile Maurice, Dumas a consacré un de ces romans à un personnage mauricien. Il s’agit de Georges.

Georges, personnage mauricien d'Alexandre Dumas.
Georges, personnage mauricien d’Alexandre Dumas. Photo: CR.

Georges ou Anthony ? Lequel de ces deux romans du grand Alexandre Dumas lire en premier ? La confusion était totale, d’autant plus que je les confondais souvent. Les deux œuvres ont des liens, proches ou lointains, avec l’histoire de l’Ile Maurice. Mais il a fallu choisir, et en ce jour anniversaire de Dumas, c’est Georges qui l’a emporté !

Pourquoi ? Tout simplement parce que Georges, publié en 1843, se déroule à l’Ile Maurice. J’ai souhaité voyager 180 ans en arrière et découvrir mon île telle que l’aurait vue Dumas. Sauf que ce dernier n’est jamais venu à Maurice. Il était d’usage à l’époque pour les grands auteurs d’avoir recours aux services d’écrivains moins connus, que l’on appelait des nègres. Pour de nombreuses personnes, celui qui servit de nègre à Dumas pour Georges se nommait Félicien Mallefille.

L’aigle Mallefille

A qui de Dumas ou de Félicien Mallefille (photo), attribuer la parternité de Georges?
A qui de Dumas ou de Félicien Mallefille (photo), attribuer la parternité de Georges? Photo: Wikicommons.

Pierre Jean Félicien Mallefille était un auteur mauricien né à Pamplemousses, le 3 mai 1813. Il s’était par la suite établit en France pour poursuivre une carrière de romancier et de dramaturge. Mallefille fut aussi diplomate à Lisbonne autour de 1848. Il compte 12 pièces de théâtre et sept romans à son actif. Peu d’éléments biographiques nous sont parvenus sur Mallefille, mis à part les nécrologies signées Alexandre Dumas et Théophile Gauthier en 1868. Et à la question de savoir à qui de Dumas ou Mallefille attribuer la paternité de Georges, je me contenterai de citer qu’a dit Gauthier du Mauricien : 

« C’était un aigle sans doute, et qui avait toujours l’œil fixé sur le soleil, mais son essor était parfois inégal, pénible ; il manquait quelques plumes à cette grande aile fiévreusement palpitante. La nature les lui avait-elle refusées ou avaient-elles été coupées par quelque balle jalouse, tandis qu’il cherchait sa route vers l’idéal ? On ne sait. »

Et on ne le saura jamais. Par contre, ce que l’on sait, c’est que celui qui a écrit Georges connaissait très bien l’Ile Maurice. J’ai ressenti une immense joie à suivre Georges, le héros éponyme, aux abords du Jardin de la Compagnie, du Champ de Mars, de Port-Louis, à Moka en passant par Rivière-Noire, tous ces lieux de mon quotidien. Outre la toponymie, Georges met en lumière un autre aspect de la société mauricienne du 19e : le préjugé de couleur. Autrement dit, le racisme.

Pierre Mulnier contemplant le Port-Louis de la Montagne des Signaux, tout comme moi. Photo: CR.
Je contemple le Port-Louis du haut de la Montagne des Signaux, tout comme Pierre Mulnier. Photo: CR.

Mulâtre

Toutefois, il ne s’agit pas ici du classique racisme-colon-esclave ou blanc-noir, tant de fois écrit, décrit, réécrit. Non, il s’agit ici d’un racisme dont on parle peu, voire presque plus : celui des blancs vis à vis des mulâtres. « Pas de mulâtres avec nous ! Pas de mulâtres ! Cri unanime, universel, retentissant, que tout le bataillon répéta comme un écho ! ». Cet écho a traversé les siècles.

L’origine étymologique du terme mulâtre proviendrait de la mule. Celle-ci est un croisement entre un âne et une jument, soit un hybride entre deux espèces différentes. Le mot mulâtre serait donc une allusion à la progéniture issue d’un croisement considéré à l’époque comme étant contre nature : celui d’un blanc et d’une noire.

Par ailleurs, le suffixe âtre dénote tout le mépris initial voué aux êtres issus de telles origines. Selon l’Office québécois de langue française, le suffixe âtre, exprime « l’approximation ou la dépréciation et il a parfois une valeur péjorative ». Lorsqu’on l’accole à un adjectif de couleur, il permet de créer un nouvel adjectif désignant une couleur approximative, un à peu près, mais pas tout à fait (ex. verdâtre, rougeâtre, blanchâtre etc). Les termes en âtre sont péjoratifs et rarement positifs (ex. marâtre, la méchante belle-mère ou encore douçâtre, d’une douceur fade).

La Rédemption de Cham considéré comme l’un des tableaux les plus racistes du XIXe siècle, montrant la « rédemption » à travers trois générations des personnages qui « blanchissent » au fur que l’on descend dans les générations. Photo: Wikicommons.

Nègres marrons

Georges décrit tout le mépris et la haine qu’éprouvaient les Blancs face aux Mulâtres. Ces derniers étaient pourtant parfois leur égal en termes de richesse, mais ne bénéficiaient pas des mêmes droits. Cette situation força certains Mulâtres à se séparer de leurs enfants et à les envoyer faire leur éducation en France, car l’unique lycée de la colonie (aujourd’hui devenu le Collège Royal de Port-Louis) était jadis réservé aux Blancs. «… je ne pouvais pas les mettre au collège ici. Le collège a été fondé pour les blancs, et nous ne sommes que des mulâtres», se résigne Pierre Munier, l’un des personnages du roman. A la lecture de ce passage, impossible de ne pas penser à la controverse d’un chant raciste, qui a ébranlé le Collège Royal de Curepipe en mars 2023.

Outre les Mulâtres, Georges donne aussi voix à une autre catégorie d’individus que l’histoire mauricienne a tut : les nègres marrons. C’est bien la première fois que je lis avec moultes détails à quoi s’apparentait le périple d’esclaves en fuite. Ces derniers se battaient, au péril de leur vie, pour leur liberté. Ils étaient obligés de se cacher dans les ronces et les denses forêts de la Rivière-Noire, traqués comme du vulgaire gibier par des hommes armés.

Le terme marron proviendrait de l’espagnol cimarrón, qui faisait référence à un animal domestique redevenu sauvage. Cependant, il n’y a rien de sauvage dans la quête de liberté, bien au contraire. J’ai ressenti la tension, la souffrance et le désespoir de ces êtres. Mais j’ai surtout ressenti toute leur résilience, leur combativité et leur profond désir de justice et de liberté!

Georges donne aussi voix aux esclaves. Photo: Sevde Sevan, Shutterstock.

Grasse à point

En sus de celle des esclaves, Georges traite également de la liberté des femmes. Cette incursion dans l’Ile Maurice du début du 19e siècle, m’a permis de découvrir l’étiquette, les usages et les convenances en vigueur pour l’éducation des filles ou pour une demande en mariage. Voici par exemple ce qu’on apprend de Sara de Malmédie : « voilà un père et un fils qui élèvent une héritière comme une caille en mue, pour la plumer à leur aise par un bon mariage, et quand la caille est grasse à point, arrive un braconnier qui veut la prendre pour lui . » Mais Sara, c’est surtout une jeune femme qui apprend à penser et à réfléchir par elle-même. Elle ose aller au-delà des convenances d’une société paternaliste, et s’affirme en tant que femme libre de ses choix.

Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup apprécié Georges. Le roman est certes empreint des pensées et us de son époque, mais il ose aller au-delà de son temps. Cependant, 180 ans après, certains préjugés et injustices décriés par Georges sont hélas toujours présents dans la société mauricienne. « Sa lutte avec la civilisation était finie, sa lutte avec la barbarie allait commencer. » Et nul ne sait quand prendra-t-elle fin.

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