Île Maurice : quand le sucre se met à table
Usines, gâteaux doux, vastes champs de cannes. Le sucre fait partie du quotidien et du vécu collectif des Mauriciens. La culture de la canne à sucre et l’industrie sucrière constituent la genèse de l’Île Maurice. Elle a façonné la société mauricienne, avec ses injustices et ses passions. Aujourd’hui encore, le sucre se réinvente et se met A Table, pour mieux séduire.
« La canne à sucre, son parcours et son devenir ». Tel était le thème de la récente édition du cycle de conférences A table avec, qui s’est tenue la semaine dernière. Jean-Claude Autrey, Secrétaire général de l’International Society for Sugar Cane Technologists et Devesh Dukhira, Chief Executive Officer du Syndicat des sucres, étaient les conférenciers du jour. Tour à tour, ils sont revenus sur l’histoire de la canne à sucre à l’Ile Maurice, sur les défis auxquels fait face l’industrie sucrière et sur ce qui pourrait être son avenir.
C’est en 1639 que les Hollandais ont introduit la canne à sucre à l’Ile Maurice, de Java. A partir de 1680, la production de l’arack se diffuse au sein de la colonie. L’arack est une eau-de-vie tirée de la distillation de la canne à sucre. En 1710, ce sont 6000 L d’arack et 1000 kg de sucre qui sont produits. Ces chiffres peuvent sembler dérisoires en comparaison avec l’ampleur que prendra la culture de la canne à sucre sous la colonisation française.
En effet, sous l’impulsion du Gouverneur Mahé de Labourdonnais, l’étendue des terres mises sous culture de canne à sucre ne cesse de s’accroître. En 1789, il y a dix usines et 1000 arpents de canne à sucre. Ces chiffres passeront à 80 usines et 10 000 arpents au début des années 1800, et d’autres cultures s’ajouteront à celle de la canne à sucre, notamment celles du manioc, du café, du maïs, du blé et du coton. C’est ainsi que l’Isle de France prospéra.
La prise de l’île en 1810 par les Britanniques ne changera rien à l’essor de la culture de la canne à sucre. Bien au contraire, le taux de production de sucre ira crescendo, avec pas moins de 456 691 tonnes de sucre produites en 1959 ! La période britannique verra aussi la création de plusieurs institutions de recherche agronomique. En voici quelques exemples : la Chambre de l’agriculture créée en 1853, la Station Agronomique en 1890, le Mauritius Sugar Syndicate en 1919, le Mauritius Agricultural College en 1923 et le Mauritius Sugar Industry Research Institute (MSIRI) en 1953.
Sucre et centralisation
Depuis l’indépendance du pays en 1968, la production de sucre a atteint des nombres astronomiques, avec un record de 706 839 tonnes produites lors des années 1970. Cependant, ce chiffre est en déclin depuis les années 1990, notamment à cause de la fin de l’accès à certains marchés à des taux préférentiels, mais aussi à cause d’un manque de compétitivité. En effet, de nombreux autres pays comme le Brésil ou l’Inde ont un coût de production nettement inférieur à celui de l’Ile Maurice.
En conséquence, des régimes de retraite anticipée volontaire (voluntary retirement scheme – VRS) ont été établis pour les employés de l’industrie sucrière et de nombreuses usines ont mis la clé sous le paillasson. Quand à celles qui ont continué à opérer, elles se sont ensuite progressivement regroupées. Avec la centralisation, il ne reste aujourd’hui à l’Ile Maurice plus que trois usines sucrières en opération : Terra, Alteo et Omnicane.
Cependant, même si certaines usines n’opèrent plus en tant que productrices de sucre, elles n’en demeurent pas moins toujours actives dans le paysage économique local. En effet, pour ne pas disparaître, ces établissements ont du diversifier. Elles se sont donc tournées vers d’autres secteurs : hôtellerie, immobilier de luxe, création de centres commerciaux, de villages universitaires, et récemment, de « smart cities ». Cette diversification a si bien réussi que certaines usines se sont graduellement métamorphosées en puissants conglomérats, opérant dans tous les principaux secteurs économiques du pays.
Outre les usines, une autre catégorie de producteurs de sucre est aujourd’hui menacée de disparition : il s’agit de ce que l’on appelle à l’Île Maurice les petits planteurs. Ces derniers sont des propriétaires de petites parcelles de terre sur lesquelles ils cultivent de la canne à sucre. Selon les conférenciers, ces planteurs font face à deux défis. D’une part, une main d’œuvre vieillissante, et d’autre part, la culture sur de petites parcelles de terre ne peut être mécanisée. Pour être efficace et rentable, la mécanisation doit se faire sur de vastes étendues. Face à ces défis, les petits planteurs doivent se réunir pour ne pas disparaître.
Demerara, muscovado, low gi
Vieille d’une existence de près de 300 ans, l’industrie sucrière à l’Ile Maurice est désormais appelée industrie cannière. Même si on parle de diversification et de réinvention, le cœur de cette industrie demeure la production de sucre. C’est ainsi que l’industrie, en quête d’un nouveau souffle, mise aujourd’hui sur la production et l’importation de sucres spéciaux. Cette appellation regroupe des sucres peu raffinés, avec une forte teneur de jus de canne et de mélasse, d’où leur couleur foncée. Quelques exemples sont la vergeoise (demerara ou cassonade) et le muscovado. Outre les sucres spéciaux, le Syndicat des sucres surfe aussi sur la tendance santé et bien-être. Il propose des sucres à faible indice glycémique (low GI) destinés aux diabétiques de l’Ile Maurice et d’ailleurs.
Mais avant de s’exporter, ces sucres spéciaux se sont invités à table, pour un menu aux saveurs mauriciennes sucrées salées. Pour moi qui avais fait un plaidoyer pour « mauricianiser » ce qui vient de l’Ile Maurice, on peut dire que j’ai été servie ! De l’entrée au dessert, tous les plats étaient construits autour du sucre. Laquage à la mélasse, braisage au muscovado brun, dessert au muscovado clair, il y en avait pour tous les sucres ! Pour ma part, mention spéciale pour la saumurade de saumon, salade de quinoa et vinaigrette au fangourin. Un véritable délice !
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