Ile Maurice : Balaclava, comptoir de l’Histoire

Article : <strong>Ile Maurice : Balaclava, comptoir de l’Histoire</strong>
Crédit: Photo: Historic Mauritius, Flickr, CC.
12 janvier 2025

Ile Maurice : Balaclava, comptoir de l’Histoire

En ce début de l’année 2025, j’ai choisi de vous emmener en balade. Direction le nord de l’Ile Maurice, pour découvrir un lieu riche d’histoire. Cap sur Balaclava !

Photo: Historic Mauritius, Flickr, CC.
Vue des ruines de Balaclava. Crédit : Historic Mauritius, Flickr, CC

Balaclava. Voilà un nom qui détonne, dans une Ile Maurice à la toponymie principalement francophone. Située au nord de l’Ile Maurice, Balaclava est une région riche d’histoire. Ce serait autour de la fin des années 1850 que son nom aurait été trouvé. Il s’agirait d’une référence à la bataille de Balaklava, en Ukraine. Celle-ci eut lieu en octobre 1854, entre l’armée russe et une coalition franco-britanno-ottomane, dans le contexte de la guerre de Crimée.

Cependant, l’histoire de la baie de Balaclava remonte au début des années 1700, du temps de la période hollandaise à l’Ile Maurice. Les capitaines de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales connaissaient déjà cette baie. Ils venaient s’y ravitailler en eau fraîche, fruits et viandes. Ils baptisèrent les lieux Baie-aux-Tortues, fort semblablement en raison du nombre important de tortues marines qui y vivaient. Les forêts d’ébène qui recouvraient le nord de l’Ile représentaient également un attrait pour les navires hollandais. Après avoir tenté d’y établir une colonie, les Hollandais abandonnèrent définitivement l’Ile Maurice en 1710.

Les Français prirent possession de l’île en 1713. Une nouvelle page s’ouvrait alors pour la Baie-aux-Tortues. Mahé de Labourdonnais, Gouverneur de l’Isle de France de 1735 à 1746, décida d’établir la capitale de la colonie plus au nord. Il fonda ainsi la ville de Port-Louis. Situé non loin de là, la Baie-aux-Tortues connut un pic d’activité entre 1735 et 1743 : construction d’un hôpital pour les marins souffrant du scorbut, d’un arsenal, d’une fonderie de fer et d’un moulin à poudre. Les Français construisirent aussi un barrage sur la rivière Citron afin d’alimenter les divers ateliers. La baie portait désormais le nom de « La Baie de l’Arsenal ». C’est de là que le village d’Arsenal tient son origine.

J'ai été emue en voyant les ruines de la minoterie à Balaclava. Photo: CR.
J’ai été emue en voyant les ruines de la minoterie à Balaclava. Crédit : CR
Crédit : CR

Nouveaux propriétaires

À la demande de la Compagnie des Indes, Mahé de Labourdonnais fit construire une batterie de défense le long de la baie. L’histoire raconte qu’en 1748, l’amiral Edward Boscawen de la Royal Navy tenta de prendre l’île aux Français. Cependant, il renonça à la vue des fortifications à la Baie- de-l’Arsenal. Le 21 septembre 1774, une explosion survint à la baie faisant 11 morts et une centaine de blessés. Pour des raisons de sécurité et afin d’éviter tout tir ennemi depuis la mer, les Français construisirent un nouveau moulin à poudre à l’intérieur des terres, au milieu d’une forêt. La baie tomba alors quelque peu dans l’abandon.

Un canon, vestige de la batterie de défense. Photo: CR.
Un canon, vestige de la batterie de défense. Crédit : CR

À partir du début du XIXᵉ siècle, la Baie-de-l’Arsenal connut plusieurs propriétaires et un regain d’activité. Un certain Joseph Dioré, propriétaire d’une minoterie à Port-Louis rencontrait des problèmes d’approvisionnement en eau. Il transférera alors la minoterie à la Baie-de-l’Arsenal. En 1856, George Courson de Villeneuve, Maire de Port-Louis de 1859 à 1861, acheta le domaine, qu’il rebaptisa « Ville Vallio ». Il y organisait de somptueuses réceptions et y conviait le tout Port-Louis. Courson de Villeneuve fit faillite en 1863. C’est après cet épisode que Pierre Adolphe Wiehe, négociant portlouisien racheta Ville Vallio. Il la surnomma Balaclava, comme indiqué plus haut.

Balaclava vue par Nicholas Pike

Nicholas Pike, naturaliste et consul des États-Unis d’Amérique à Port-Louis de 1867 à 1874, visita Balaclava en 1868. En 1873, il publia le récit Sub-Tropical Rambles in the Land of the Aphanapteryx où il raconte en détail sa visite de Balaclava. Il y fut reçut par Pierre Adolphe Wiehe. Voici ce que Pike décrit :

« Nous arrivâmes bientôt à Balaclava, la résidence de campagne d’un des marchands de Maurice. En entrant dans la propriété, vous empruntez un chemin bordé de hautes haies de cassia et passez par une belle porte en fer, construite sur le domaine et recouverte […] de chèvrefeuille anglais. Il y a une route carrossable à travers les beaux jardins jusqu’à la maison, et vous longez des allées d’arbres et d’arbustes exotiques rares, et de chaque côté une richesse de roses et de fleurs délicates charme les sens. C’est ici que se trouve la plus grande partie des arbres indigènes de l’île. Les étangs sont remplis de Gourami et de poissons rouges ; et à une extrémité du jardin se trouve un magnifique banian, qui étend ses bras gigantesques sur les fours de l’ancienne batterie de l’Arsenal, maintenant à peine visibles à travers la masse de plantes grimpantes qui les recouvrent. »

Ruines à peine visibles à travers la masse de plantes grimpantes qui les recouvrent. Photo: CR
Ruines à peine visibles à travers la masse de plantes grimpantes qui les recouvrent. Crédit: CR

Tramway à Balaclava

Outre le pittoresque des lieux, Nicholas Pike raconte aussi la vie trépidante qui se déroule autour de la minoterie et de la distillerie, ainsi que le fonctionnement de ses deux fabriques. On acheminait le blé à Balaclava par bateau. Du débarcadère, on l’amenait à la minoterie au moyen d’un tramway : « Il y a un tramway qui va à la mer pour remonter le blé des bateaux ; un des premiers, je crois, construit dans l’île. Le magasin peut contenir 10 000 sacs de blé et est souvent plein. »

Embouchure de la rivière Citron ou le blé arrivait par bateau. Photo: CR.
Embouchure de la rivière Citron ou le blé arrivait par bateau. Crédit : CR
La rivière Citron fournissait de l'eau aux moulins et a la distillerie. Photo: CR.
La rivière Citron fournissait de l’eau aux moulins et à la distillerie. Crédit : CR

Les infrastructures construites par les Français étaient encore utilisées à Balaclava en 1868. « Les Français ont construit un grand barrage en pierre de taille, en 1743, qui a été surélevé de plusieurs pieds plus haut et qui fournit une abondante réserve d’eau aux moulins et à la distillerie. (…) Il y a une grande roue hydraulique de trente-huit pieds et une de vingt pieds de diamètre, qui entraîne six pierres, capables de broyer 300 sacs de 150 livres chacune par jour. L’ensemble de la machinerie, depuis les seaux auto-alimentés sur une grande roue qui transportent le blé jusqu’au moulin, jusqu’à la séparation des différentes sortes de farine, est des plus complets. »

Une grande roue hydraulique entraîne six pierres capables de broyer 300 sacs de 150 livres de blé chacune par jour, indique Nicholas Pike. Crédit : CR

Rhum et épines

En ce qui concerne la distillerie, voici ce que Pike nous explique : « Dès que le rhum est prêt à être commercialisé, il est soutiré dans des tonneaux, mesurés par une mesure gouvernementale et marqués par l’officier, lorsqu’il est expédié par bateaux à Port-Louis. » Autre anecdote marquante, le consul indique que Pierre Adolphe Wiehe prit l’initiative d’ouvrir une école pour les enfants de ses ouvriers. À l’époque, point de cahier ou de crayon. Les écoliers écrivaient sur des ardoises au moyen de grandes épines des Echinus manullatios… soit des épines d’oursins, abondantes dans la baie ! Cela me ramène à mon enfance, car j’adorais ramasser les épines d’oursins à Poste-Lafayette pour écrire ou dessiner sur les pierres de lave…

L'actuel « Château Mon Désir » a été construit en 2009. Photo: CR.
L’actuel « Château Mon Désir » a été construit en 2009. Photo: CR.

De la lave de Balaclava, subsiste les vestiges d’une riche Histoire. La propriété appartient désormais à l’hôtel Maritim, qui a ouvert ses portes en 1990. L’actuel Château Mon Désir, inspiré de l’architecture coloniale française a été construit en 2009. Les ruines de la minoterie, de la distillerie et du barrage construits par Mahé de Labourdonnais ont été déclarés monuments nationaux. Ils font pleinement partie du patrimoine historique de l’Ile Maurice ! 🙂

Du haut de ces 300 ans d’histoire, Balaclava fait pleinement partie du patrimoine historique de l’Ile Maurice. Crédit : CR.
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