Ile Maurice: l’esclavage vu par Eugène de Froberville

Article : <strong>Ile Maurice: l’esclavage vu par Eug</strong><strong>è</strong><strong>ne de Froberville</strong>
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1 février 2025

Ile Maurice: l’esclavage vu par Eugène de Froberville

1835 – 2025. L’Ile Maurice célèbre aujourd’hui les 190 ans de l’abolition de l’esclavage. A cette occasion, pleins feux sur la collection Froberville.  

Photos de la collection Froberville, un trésor d’une grande valeur! Photo: CR

Avouons-le. Je ne connaissais pas Eugène de Froberville. Oui comme tout le monde, j’étais passée devant l’ancien hôpital militaire de Port-Louis, appelé à devenir l’actuel Musée intercontinental de l’esclavage. Comme tout le monde, j’avais vu ces têtes sur le panneau géant qui annonçait l’emplacement du musée. Okay, c’est sympa toutes ces têtes, mais ça ne casse pas trois pattes à un canard. Alors oui, avouons-le, je ne m’étais pas cassé… la tête !

Comme tout le monde, j’étais passée devant l’ancien hôpital militaire de Port-Louis, et j’avais vu ces têtes sur le panneau géant. Photo: CR

Puis est venu le jour où j’ai appris que le Château musées de Blois tenait une exposition autour de l’esclavage à l’Ile Maurice. Quoi ?! A Blois ? Sérieux ? Ayant été Tourangelle dans l’une de mes nombreuses vies, j’ai été profondément interpellée par cette surprenante nouvelle. J’entends encore. Mesdames et messieurs, bienvenue à bord de ce train SNCF à destination de Tours. Ce train desservira les gares de Chateaudun, Orléans, Blois, Saint-Pierre-des-Corps, avant d’arriver en gare de Tours, sa destination finale… Et l’esclavage à l’Ile Maurice dans tout ça ? D’autant plus que l’exposition blésoise mettait en lumière plusieurs visages et que certains d’entre eux m’étaient étrangement… familiers! Et comment ! Ces visages ayant traversé siècles et mers étaient ceux que j’avais vus à Port-Louis ! Ah ces fameuses têtes! Comment diable pouvaient-elles se retrouver en plein cœur du Loir-et-Cher ?

Esclavage et ethnographie

C’était sans compter ce cher Eugène. Huet de Froberville, à l’Etat civil. Issu d’une famille aristocratique française, Eugène Huet de Froberville naquit à l’Ile Maurice en 1815. Ses parents et lui rentrèrent en France à la fin 1820. L’enfance de Froberville se passa donc dans une Ile Maurice nouvellement sous administration coloniale britannique. Le sucre y était encore roi et la traite négrière toujours de vigueur. On peut donc penser qu’Eugène de Froberville a du voir de nombreux esclaves venus de Madagascar et des pays d’Afrique. Ce n’est pas surprenant qu’il devint plus tard anthropologue et ethnographe.

Entre 1845 et 1847, Eugène de Froberville fit une enquête ethnographique auprès d’anciens captifs africains qui avaient été déportés aux îles Mascareignes (Ile Maurice et Ile de la Réunion). En résultèrent, de nombreux manuscrits, des dessins, des contributions à certains livres, mais surtout… une série de bustes ! Ce que j’avais prosaïquement appelé des « têtes » étaient en réalité des bustes ! Et pas n’importe lesquels. Il s’agit de ceux des informateurs africains d’Eugène de Froberville.

Ce que j’avais prosaïquement appelé des « têtes » étaient en réalité des bustes ! Photo: CR
Ce que j’avais prosaïquement appelé des « têtes » étaient en réalité des bustes ! Photo: CR
L’enquête ethnographique de Froberville recensait les pays d’origines des anciens captifs. Photo: CR.

En effet, l’ethnographe avait réalisé des moulages en plâtre du visage d’une cinquantaine de ceux qu’il avait interrogés. Ces moulages auraient été faits sur des hommes vivants, ce qui explique que tous les visages ont les yeux fermés. De nombreuses questions me viennent à l’esprit… Etait-ce douloureux en 1846 de se faire ainsi mouler l’intégralité du visage au plâtre ? Comment respiraient ces hommes lors de l’opération ? Etaient-ils d’accord qu’on leur « prennent » ainsi le visage ? Le leur avait-on demandé ?

Etait-ce douloureux en 1846 de se faire ainsi mouler l’intégralité du visage au plâtre ? Photo: CR

Collection Froberville

Hélas, je n’aurais jamais de réponses à ces questions. Par contre, le lien entre Blois et ces bustes mauriciens du 19e siècle a bel et bien une explication. Eugène de Froberville les a fait acheminer en France au terme de son enquête ethnographique. Il les gardera ensuite dans sa demeure du château de la Pigeonnière, à Chailles, à Blois ! La boucle est bouclée, peut-on dire. Pour Eugène de Froberville, certes. Mais quid des bustes ? Ils n’ont connu qu’un aller simple pour l’Hexagone, avant de se dévoiler au Château musées de Blois, après deux siècles. Serait-il temps de ramener les bustes à la maison ? Oui, sans aucun doute. C’est une réalité qui se concrétisera bientôt. Saluons ici l’immense travail de l’historienne Klara Boyer-Rossol qui a mis en lumière les bustes de la collection Froberville, ainsi que leur riche histoire et inestimable valeur.

L’équipe du Musée intercontinental de l’esclavage, à l’Ile Maurice, n’est pas en reste non plus. A défaut d’exposer les bustes eux-mêmes, le musée en propose des images, ainsi qu’une restitution audio de certains des informateurs africains. En attendant de les voir, nous pouvons découvrir le parcours individuel de ces hommes devenus, malgré eux, les visages de l’esclavage.

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