Elorac

Si tant, dans l’air du temps

Les langues ont toujours été dynamiques.

Il n’est un secret pour personne que j’adore la sociolinguistique. C’est donc toujours avec le même intérêt et enthousiasme que j’observe la vie des mots, ainsi que leur évolution au sein de la créolophonie et francophonie mauricienne. Ces derniers temps, il y a une expression en particulier qui a attiré mon attention. Il s’agit de « si tant ».

En français, nous avons la locution « si tant est que ». Celle-ci peut servir à introduire une supposition (ex. Le dodo d’or, si tant est qu’il existe, n’a jamais été vu) ; une condition (ex. J’irai à Port-Louis, si tant est qu’ils acceptent de m’y accompagner) ou une concession (ex. J’ai été obligée de manger tout le plat, si tant est que ma cousine a insisté).

En revanche, en créole mauricien, nous avons la locution « si tan », sans le verbe « est » et le pronom relatif « que ». Cette expression, qui existait déjà, a en général la même signification que « tellement » (telmen en creole). Cependant, « si tan » connait depuis quelques temps un regain de popularité face à sa variante « telmen », si bien que l’on l’entend de plus en plus souvent. En voici quelques exemples :

  1. Entendu lors d’une conversation usuelle

« Ayo, si tan lon ?»

« Ohlala, aussi long ?»

2. Extrait d’une publicité pour une banque mauricienne diffusée à la radio (décembre 2022/ janvier 2023)

« Ena ki pou kontan pay par kart si tan zot eksite kone ki pou ena 15 gagnan »

« Il y en a qui seront heureux de payer avec leur carte, tellement qu’ils sont excités de savoir qu’il y aura 15 gagnants »

3. Extrait des paroles d’une chanteuse mauricienne (chanson sortie en décembre 2022)

« Sa lazwa nou propaze, depass tou frontier si tan li voyaze »

« La joie que nous propageons dépasse toutes les frontières, tellement qu’elle voyage »

Les traductions du créole mauricien vers le français sont miennes. Peut-être que d’autres les auraient faites différemment, car « si tan » semble être une expression polysème (qui a plusieurs sens). Aussi, autant, tellement que ? A chacun son interprétation. D’autant plus que les langues ont toujours été dynamiques et les mots et expressions évolueront sans cesse au cours de leur existence.

Par contre, s’il y a une chose qui met tout le monde d’accord, c’est que « si tan » fait partie de l’air du temps, en ce mois de janvier 2023. En effet, son utilisation par les Mauriciens dits lambdas, les publicitaires et les paroliers en est la preuve. Tout comme l’est ce petit billet que vous venez de lire ! 🙂


Philatélie : 250 ans pour la poste mauricienne !

1772 – 2022. Cela fait 250 ans que la poste de l’Ile Maurice existe. Retour sur la genèse de ce qui est aujourd’hui l’un des plus anciens services postaux de l’hémisphère sud toujours en opération.

Le Blue Penny. Qui ne connait pas ce fameux timbre mauricien à l’effigie de la Reine Victoria, l’un des plus rares au monde ? Véritables stars de la philatélie, le Blue Penny et le Orange-Red Penny datent de 1847. Ils sont les premiers timbres émis pour le service postal de l’Ile Maurice, qui était alors une colonie britannique.

Véritables stars de la philatélie, le Blue Penny et le Orange-Red Penny datent de 1847. Photo: Wikicommons

Cependant, l’histoire du service postal mauricien est bien plus ancienne. En effet, elle remonte aux années 1770s, au temps où le pays était une colonie française du nom de l’Isle de France. C’est le 21 décembre 1772 que le Bureau général des Postes et Gazettes ouvrit ses portes à Port-Louis, dans les locaux de l’Imprimerie Royale. La distribution du courrier se faisait alors au moyen de longs et difficiles déplacements à pieds, sur les rares routes de la colonie.

Poste et presse

Par ailleurs, la genèse du service postal est intimement liée à l’histoire de la presse locale. En janvier 1773, Pierre Nicolas Lambert, imprimeur du Roi, publia le premier journal de l’île, intitulé Annonces, Affiches et Avis divers pour les colonies des Iles de France et de Bourbon. Le service des postes assurait alors la distribution du journal imprimé localement et des lettres arrivées par vaisseaux, à destination des particuliers. Cette distribution à domicile était gratuite pour les abonnés au journal. En revanche, les non-abonnés devaient s’acquitter de frais de port après réception du courrier. Le coût variait selon l’éloignement géographique de Port-Louis.

A partir de 1776, les services postaux furent séparés de ceux de l’Imprimerie Royale. Entre 1786 et 1789, un service royal de courrier maritime avec la France fut créé. En 1790, ces services furent réorganisés avec une Poste Générale à Port-Louis et des Bureaux de cantons dans les quartiers. Ces derniers sont des lointains ancêtres de nos districts.

L’Isle de France passa sous administration Britannique en 1810. En janvier 1811, la Poste Générale devint un département civil de l’administration coloniale. Malgré ce changement d’administration, la colonie continua sur sa belle lancée, avec une industrie sucrière en plein essor. Ces profonds et rapides changements nécessitèrent une réorganisation des services postaux. L’objectif était d’améliorer la communication tant à l’intérieur de la colonie, que vers le reste du monde.

Le bal de Lady Gomm

C’est ainsi que Sir William Maynard Gomm, Gouverneur de l’île de 1842 à 1849, instaura une réforme de la poste. Il s’agit de l’ordonnance no13 de 1846. La principale innovation de cette réforme fut l’adoption d’un système de prépaiement grâce au timbre-poste. Cette pratique existait déjà en Grande-Bretagne (avec le Penny Black de 1840, qui est le premier timbre au monde) et au Brésil.

L'ordonnance de Sir William Maynard Gomm sur la réforme de la poste en 1846. Photo: JR
L’ordonnance de Sir William Maynard Gomm sur la réforme de la poste en 1846. Photo: JR

Les premiers timbres de l’Ile Maurice, le Blue Penny et le Orange-Red Penny, furent conçus et imprimés le 20 septembre 1847, dans un contexte très précis. En effet, l’Isle de France nouvellement britannique se trouvait peu d’affinités avec les administrateurs de Sa Majesté. C’est ainsi que Lady Gomm, épouse du Gouverneur de l’île, décida d’organiser un bal à l’Hôtel du Gouvernement, dans le but de réconcilier les populations française et britannique. Le bal était prévu pour le 30 septembre 1847. Lady Gomm demanda de graver deux timbres qu’elle utilisa sur les enveloppes contenant les cartons d’invitation qu’elle envoya aux convives. Ces enveloppes, appelées le Ball Cover, figurent aujourd’hui parmi les objets les plus rares, recherchés et chers de la philatélie.

Blue Penny

L’Ile Maurice devint ainsi la première colonie britannique à éditer les timbres postaux. Le Blue Penny et le Orange-Red Penny furent conçus et imprimés par Joseph Osmond Barnard, originaire de Portsmouth en Angleterre.  C’est d’ailleurs avec beaucoup d’émotion que j’ai découvert sa tombe à Port-Louis.

Tombe de Joseph Osmond Barnard, qui a conçu les premiers timbres mauriciens. Photo: CR.
Tombe de Joseph Osmond Barnard, qui a conçu les premiers timbres mauriciens. Photo: CR.

Toujours dans le cadre de cette réforme, la Poste Générale, qui se trouvait au cœur de Port-Louis, fut transférée au plus proche du port, en 1870. Nicholas Pike, consul américain arrivé à Maurice en janvier 1867, fut témoin de la construction de la Poste Centrale, ou General Post Office pour l’administration britannique. « There is a new Post-Office in the course of erection near the Customs-House. It is to be hoped that the new light and airy place will give a proportionate impetus to the activity of the clerks on mail day», observa-t-il*. Il indiqua aussi qu’un réseau de fils télégraphiques reliait la Poste Centrale à la Montagne des Signaux.

* «Il y a un nouveau Bureau de poste en cours de construction près de la Douane. Espérons que ce nouveau lieu lumineux et aéré donnera une impulsion proportionnée à l’activité des commis le jour du courrier », observa-t-il.

Télégrammes

Ce service de télégrammes était encore disponible pendant les années 1960. «Sa lepok la, pa tou dimounn ki ti ena telefonn. Kan ti ena enn messaz pou fer passer ou si enn zour enn dimounn mor ici Curepipe, nou bizin avoy nouvel-la a Cap Malheureux, mo rapel mo papa ti pe ekrir enn messaz 5 mots ou 10 mots. Li amenn sa lapost. Mo pa rapel combien sa ti koute, mais mem zour bann-la ti gagne nouvel-la », se remémore Roberto.**

**« A cette époque, ce n’était pas tout le monde qui avait le téléphone. Quand on avait un message à faire passer ou si un jour quelqu’un mourrait ici à Curepipe et que nous devrions transmettre la nouvelle à Cap-Malheureux, je me souviens que mon père écrivait un message de 5 ou 10 mots. Il l’emmenait à la poste. Je ne me souviens pas du coût, mais les autres recevaient la nouvelle le même jour », se remémore Roberto.

Le service de télégrammes était encore disponible pendant les années 1960. Photo: CR
Le service de télégrammes, ici au Musée de la poste, était encore disponible pendant les années 1960. Photo: CR

Depuis, les moyens de télécommunications ont certes évolué, mais la Poste Centrale n’a jamais quitté les locaux qu’elle occupe depuis maintenant 152 années. C’est le plus ancien bureau de poste de Maurice et l’un des rares qui ait conservé sa fonction première. Il abrite aussi le Musée de la poste. Véritable bijou architectural, le bâtiment de la Poste Centrale est fait d’imposants bloques de basalte et de poutres épaisses. Il comprend aussi 5 arches sur la façade avant.

Le bâtiment de la Poste Centrale avec ses arches, véritable bijou d’architecture. Photo: CR
Le bâtiment de la Poste Centrale avec ses arches, véritable bijou d’architecture. Photo: CR
Le bâtiment de la Poste Centrale avec ses arches, véritable bijou d’architecture. Photo: CR
Le bâtiment de la Poste Centrale avec ses arches, véritable bijou d’architecture. Photo: CR

Fierté et admiration

C’est avec fierté et admiration que je contemple ce bâtiment quand je suis à Port-Louis. Fierté de faire partie d’une histoire qui date de 250 ans et qui a vu la naissance d’un pays. Admiration devant ces immenses bloques de basalte, immobiles, mais qui ont pourtant voyagé dans l’Histoire et à travers le monde, grâce à des courriers échangés avec les quatre coins d’une planète en constante mutation.

La Poste Centrale a vu défiler tant de gens, a servi à transmettre tant de nouvelles, tantôt bonnes, tantôt mauvaises. Avec l’avènement d’internet, le courrier postal est devenu quelque peu désuet, mais le bâtiment de la Poste Centrale représente pour moi un immuable témoin de l’Histoire, toujours et à jamais en… poste !

Références :

PIKE, N (1873) : Sub-tropical Rambles in the Land of Aphanapteryx, Harper & Brothers Publishers.

ROUILLARD, J (1867) : A Collection of the laws of Mauritius and its dependencies, Vol. V, L. Channell, Rue La Poudrière, Port-Louis.

PS. Clin d’œil à mes chers parents qui m’ont offert mon premier album de timbres quand j’étais enfant. Coucou aussi à mon tonton Pascal pour tous les magnifiques timbres d’ici et d’ailleurs, ainsi que pour ses précieuses explications 🙂


Ile Maurice: Antoinette, visite dans l’histoire

1834 – 2022. En ce 2 novembre 2022, l’Ile Maurice commémore l’arrivée des travailleurs engagés venus d’Inde. A cette occasion, je vous emmène en promenade à Antoinette sur les traces d’hommes et de femmes qui ont voyagé de si loin. Suivez-moi pour une visite dans l’histoire !

 Vue sur la cheminée de l’ancienne usine.
La vue de la cheminée de l’ancienne usine sucrière. Photo: CR

Antoinette. Ce beau prénom est celui d’une ancienne usine sucrière située à Barlow, au nord-est de l’Ile Maurice. Non, il ne s’agit pas d’un hommage à la reine Marie-Antoinette, mais plutôt à Antoinette défunte épouse du dénommé Raoul de Maroussem, propriétaire terrien. Ce dernier aurait ainsi donné ce nom à sa propriété après le décès de son épouse, morte de malaria vers les années 1870s. Le domaine d’Antoinette a cependant une histoire bien plus ancienne.

En effet, c’est en 1770 que Louis Alexandre Chevalier de Chermont, militaire français né en Alsace, obtient une concession au nord de ce qui était alors l’Isle de France. Toutefois, ce n’est qu’en 1783 qu’un dénommé Louis Naud développa la culture de la canne à sucre sur ces terres. Il leur donna le nom de Belle-Alliance. Puis, c’est lors des années 1830s, sous George Charles Arbuthnot, de la société anglaise Hunter Arbuthnot & Co, que Belle-Alliance s’imposa comme l’une des principales usines sucrières du nord-est de l’île. Hunter Arbuthnot & Co possédait alors Belle-Alliance et Petit Bois (futur The Mount). Lors des années 1860s, Belle-Alliance appartenait à Raoul de Maroussem et devint plus tard Antoinette en définitive.

Laboratoire social

Hormis tous ces individus susmentionnés, il y a aussi ceux dont l’histoire n’a malheureusement retenu ni les noms, ni les mémoires. Comme toutes les usines sucrières de l’époque, de l’Ile Maurice à La Louisianne, Antoinette était un laboratoire social, avec des individus issus des quatre coins de la planète. C’était un microcosme de ce qui se faisait de mieux et de pire. D’une part, le développement avec un grand D, et d’autre part, l’enfer de l’esclavage et de l’engagisme.

C’est ce qui fait d’ailleurs la particularité d’Antoinette. Elle a été l’usine sucrière vers laquelle les premiers travailleurs engagés venus d’Inde furent déployés. Ils débarquèrent à l’Ile Maurice le 2 novembre 1834 à bord du navire l’Atlas. A l’entrée de l’ancienne usine sucrière se trouve d’ailleurs une sculpture en ciment, à la mémoire des immigrants indiens. Ce monument en forme de lotus, signé Mala Chummun, fut inauguré le 2 septembre 1984. A côté de cette sculpture se trouve une dalle datant d’avril 2016, où sont inscrits les patronymes de ces immigrants.

Sculpture en ciment, en forme de lotus, à la mémoire des immigrants indiens.
Sculpture en forme de lotus à la mémoire des immigrants indiens. Photo: CR.
Dalle avec les patronymes des immigrants.
Dalle avec les patronymes des immigrants. Photo: CR

Depuis 1984, une particule s’est ajoutée au nom d’Antoinette. Il s’agit du mot « phooliyar ». Ce terme serait une distortion des mots tamouls « pillayar » ou «pulayas », qui signifient Dieu Ganesh (Ghosh, 2019). L’histoire impose souvent ses silences. L’utilisation du mot « phooliyar », serait donc une forme de réappropriation et de reconstruction de l’histoire par les descendants des travailleurs engagés (Ghosh, 2019).

Espoirs

Aujourd’hui, Antoinette se réinvente donc en lieu des mémoires. La paisibilité et la sérénité des lieux m’ont frappée. La vue de la cheminée, des murs en pierre et des ruines de l’usine nous laisse imaginer la splendeur passée des lieux, ainsi que l’existence des personnes qui y vivaient et y travaillaient. Le labeur et la mémoire de ces êtres se trouvent certes à travers les monuments. Mais pour moi, ils se trouvent étrangement à la vue des terres et des vastes champs de canne à sucre qui entourent encore Antoinette.

Terres qui traversent les temps. Terres de déboires, mais surtout terres de tous les espoirs.

Terres et champs de canne à sucre qui entourent encore Antoinette.
Terres et champs de canne à sucre qui entourent encore Antoinette. Photo: CR.

Référence:

GHOSH, B (2019) : Le site de Phooliyar à Maurice : l’empreinte de la mémoire des migrations, Carnets de Recherches de l’océan Indien, Université de la Réunion.


Afrique : Triennale 2022 de l’ADEA à l’Ile Maurice

L’Ile Maurice a accueilli la Triennale 2022 de l’Association pour le Développement de l’Education en Afrique (ADEA), du 19 au 21 octobre 2022. Décideurs politiques, chercheurs, membres d’ONG et représentants de la société civile se sont réunis pour un dialogue de haut niveau autour des systèmes éducatifs africains.

«Réflexion sur l’impact du COVID-19 sur les systèmes éducatifs africains, et comment renforcer la résilience pour soutenir le développement des compétences pour le continent et au-delà. » Tel était le thème de la Triennale 2022 de l’ADEA, qui s’est tenue à l’Ile Maurice, en présence d’Albert Nsengiyumva, Secrétaire Exécutif de l’ADEA. Plus de 300 délégués du continent africain et d’ailleurs ont fait le déplacement pour ce forum de haut niveau sur l’éducation, l’un des plus importants d’Afrique.

La Triennale 2022 s’est tenue en présence d’Albert Nsengiyumva, Secrétaire Exécutif de l’ADEA.
La Triennale 2022 s’est tenue en présence du Secrétaire Exécutif de l’ADEA. Photo: CR

Selon l’ADEA, la Triennale vise à encourager « les interactions continentales, régionales et transnationales dans l’optique de favoriser l’apprentissage et l’échange de connaissances entre pairs. Au-delà de cet événement phare, l’ADEA facilite les processus d’examen par les pairs dans le secteur de l’éducation, y compris les systèmes nationaux d’information de gestion de l’éducation, par le biais des ministères de l’éducation. »

Réinvention

Outre les sessions plénières, plusieurs sessions en groupes ont permis aux participants de la Triennale d’aborder des thèmes critiques au développement et à la transformation des systèmes éducatifs africains. Les axes thématiques de la conférence étaient comme suit : l’Impact du COVID-19 sur les systèmes éducatifs africains; l’Apprentissage fondamental; le Développement des compétences techniques et professionnelles; et la Réinvention de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Le changement climatique, l’équité, l’inclusion et le genre constituaient également des prismes transversaux pour les discussions.

Décideurs politiques, chercheurs, membres d’ONG et de la société civile se sont réunis à la Triennale. Photo: CR
Décideurs politiques, chercheurs, membres d’ONG et de la société civile se sont réunis à la Triennale. Photo: CR

L’Afrique doit apprendre à penser par elle-même. Tel pourrait être le fin mot qui a émergé de ces trois jours de dialogue de haut niveau. Il est en ressorti que chaque pays du continent a ses propres spécificités, ainsi que ses propres défis. Malgré cela, l’Afrique doit réfléchir et avancer de manière coordonnée vers un objectif commun : l’éducation des jeunes Africains pour en faire des citoyens responsables, productifs, résilients et en alerte face aux défis de leur temps. La caractéristique évolutive des systèmes éducatifs a aussi été mise en avant, ainsi que la nécessité pour chacun de toujours se remettre en question, et d’apprendre des échecs et des réussites des pairs du continent.

Plusieurs ministres africains responsables de l’éducation, notamment ceux de l’Angola, de la Côte d’Ivoire, de la Gambie, du Ghana, de l’Ile Maurice, de Madagascar, de la Mauritanie, du Malawi, du Nigeria, de l’Ouganda, du Rwanda et du Zimbabwe, ont participé à la Triennale 2022 de l’ADEA. Celle-ci était organisée en mode hybride. Les deux précédentes Triennales se sont tenues en 2012 et en 2017, au Burkina Faso et au Sénégal respectivement. La prochaine Triennale aura lieu en Ouganda.

L’Afrique doit apprendre à penser par elle-même. Photo: CR
L’Afrique doit apprendre à penser par elle-même. Photo: CR


Ile Maurice : l’alimentation sans filtres

En ce dimanche 16 octobre 2022, le monde célèbre la Journée mondiale de l’alimentation. Véritables stars des réseaux sociaux, nos repas s’affichent toujours sous leurs meilleurs attraits. Association des couleurs vérifiée et validée, l’assiette doit être parfaite. Quid des plats dits de l’ordinaire ?

 Poke Bowl. Photo: Marco Verch
Le poke bowl, taillé sur mesure pour les réseaux sociaux. Photo: Marco Verch.

Tacos, poke bowls, buns, burgers. Ce sont là les noms de quelque plats-star des réseaux sociaux. Ils ont été adoptés par la jeunesse branchée, les jeunes cadres et les dit-influenceurs, de New York à Paris, en passant par l’Ile Maurice. Assiettes calibrées, millimétrées et validées pour répondre aux critères du marketing 2.0, force est de constater que le diktat de l’apparence et de l’uniformisation a gagné notre alimentation depuis plus d’une bonne dizaine d’années.

« C’est joli, sympa et attrayant! L’aspect visuel est incroyable, très photogénique. Certes, je trouve le plat très instagrammable, mais de plus, il est sain », explique Zoé, les yeux plein d’étoiles devant son poke bowl. Du rêve, en veux-tu, en voilà. En sus de la nourriture, le restaurant vend aussi de l’exotisme, la promesse de voyager loin. L’établissement propose ainsi un mur végétal, des guirlandes d’orchidées et une balançoire pour que les clients se prennent en photo.

Créer du buzz

On sent bien l’objectif de créer du buzz autour du lieu et le choix du marketing 2.0. La clé de la réussite pourrait se résumer en une formule : ingrédients efficaces, populaires, colorés, faciles à photographier et surtout pas chers. Mix entre la salade et les sushis, le poke bowl s’y prête bien ! Par ailleurs, je n’aurais jamais connu ce plat sans les réseaux sociaux. En effet, il ne fait pas partie des plats que je mange à la maison ou avec lesquels j’ai grandi.

Pour cette Journée mondiale de l’alimentation, j’ai donc décidé d’aller à contre-courant de ce qui se fait sur les réseaux. J’ai ainsi choisi de mettre en lumière les plats qui nous ont été transmis par nos grands-pères, nos grand-mères, nos mères et nos pères. Ils ne sont ni instagrammables, ni parfaits, mais ils sont mitonnés avec amour à la maison au quotidien. Manzé lakaz comme on dit à l’Ile Maurice, en somme. Délicieux, uniques et authentiques !

1. Salades

Salade de margoses.
Salade de margose, connue pour son amertume!! 🙂 Crédit: CR.
Salade d'ourite sec (pieuvre) de Rodrigues!
Salade d’ourite sec (pieuvre) de Rodrigues! Crédit: CR.

2. Boulettes

Gâteaux arouille en cours de préparation!
Gâteaux arouille en cours de préparation! Crédit: CR.
Boulettes chouchou (christophine) en cuisine!
Boulettes chouchou (christophine) en cuisine! Crédit: CR.

3. Plats de résistance

Riz blanc, harricots rouges, anguives frits et rougaille de chevrettes ! Crédit: CR.
Riz blanc, curry de calebasse et chevrette sec, et salade de carottes ! Crédit: CR.
Riz blanc, lentilles, anguives et chutney de pipangailles !
Riz blanc, lentilles, anguives et chutney de pipangailles ! Crédit: CR.
Riz blanc, brèdes rave et chutney de pomme d’amour (tomates)!
Riz blanc, brèdes rave et chutney de pomme d’amour (tomates)! Crédit: CR.
Riz blanc, curry de jacques et boucané !
Riz blanc, curry de jacques et boucané (poitrine de porc fumée) ! Crédit: CR.

4. Touche sucrée

Pudding au pain
Le pudding au pain de ma maman!! 🙂 Crédit: CR.

PS. Clin d’œil à mon grand-père qui était cuisinier de métier, et aussi à mes parents, qui m’ont tout appris. Par ailleurs, quand j’étais enfant, ma grand-mère maternelle nous préparait à chaque nouvel an un énorme moulouktani pour le grand dîner familial. S’il s’agit d’un délicieux bouillon épicé, et elle y mettait aussi les carcasses des dindes que l’on avait mangées à Noël. On l’accompagnait d’un super satini coco que ma grand-mère « écrasait » (préparait) sur la « ros-kari » (meule en pierre). Je n’ai malheureusement pas de photos, mais les souvenirs sont indélébiles 😊


Fake news: l’impossible combat?

Inutile de vous les présenter. Vous les connaissez déjà, et pour cause, eux ce sont les fake news. Portées par les réseaux sociaux, les nouvelles fallacieuses font partie de notre quotidien depuis une bonne dizaine d’années. David Aiello, journaliste, nous explique comment décoder et identifier les fake news.

« Fake news comment déceler le vrai du faux », tel était le thème de la conférence donné le jeudi 22 septembre à l’Institut Français de Maurice par David Aiello, journaliste à RTL France et à l’Equipe. Ce titre est en écho à un phénomène qui s’est durablement installé dans nos vies, et ce par le truchement des réseaux sociaux. Contrairement aux médias traditionnels qui offrent un minimum d’information pour un maximum de temps, les réseaux sociaux ont la particularité de nous bombarder d’un maximum d’information en un minimum de temps.

Nous évoluons désormais dans l’ère de l’industrialisation des fake news. Photo: CR.

Nous faisons donc face à un flux continuel d’information, de publications et de nouvelles en tout genre. Selon David Aiello, nous évoluons désormais dans l’ère de l’industrialisation des fake news. De la fausse nouvelle artisanale, nous sommes passés à la fabrication à la chaîne de fake news et à leur diffusion. Il existerait en effet de véritables usines de productions de fake news, et ce à des fins de propagande, de manipulation ou de marketing. La guerre de l’information, que cette dernière soit vraie ou fausse, fait rage et les conséquences des fake news sont à la fois économiques et politiques, avec des risques de déstabilisation des démocraties, explique le journaliste.

Réflexes à adopter

Il est donc primordial de savoir débusquer les fake news. Mais alors, comment déceler le vrai du faux ? David Aiello nous propose quelques bons réflexes à adopter:

  1. Identifier la source et l’auteur

Explorer le site, son but, sa page « contact ». Faire une recherche rapide sur l’auteur. Est-il fiable ? Existe-t-il vraiment ?

2. Vérifier la date

Partager un vieil article ne signifie pas qu’il est d’actualité.

3. Evaluer nos préjugés

Nos propres opinions peuvent affecter notre jugement.

4. Attention au biais de confirmation.

Ce biais se manifeste naturellement, car l’humain cherche instinctivement ce qui le conforte dans ses idées, ses opinions et ses croyances. On n’aime pas être bousculé dans nos convictions.

5. Aller au-delà du titre

Les titres peuvent être racoleurs pour obtenir des clicks. Lire l’article en entier.

6. D’autres sources ?

Consulter les liens pour vérifier l’information.

7. Est-ce de l’humour ?

Si c’est trop extravagant, est-ce une satire ? Vérifier la vocation du site.

8. Que disent les experts ?

Demandez à un spécialiste ou consultez un site de vérification des faits.

Nouveau visage

Par ailleurs, les fake news ont désormais un nouveau visage : le deepfake. Pendant longtemps, la désinformation se faisait à travers des textes écrits, puis par des photos manipulées. La vidéo était jusqu’à tout récemment la preuve ultime de la vérité. Mais ce temps est révolu. Jadis réservé au monde cinématographique et à l’univers de effets spéciaux, le deepfake était accessible uniquement à des professionnels ou amateurs très avertis. Hors, le deepfake s’est aujourd’hui démocratisé et n’importe qui peut, en quelques minutes, truquer une vidéo. Ce qui est très dangereux, car tout le monde peut faire dire n’importe quoi à n’importe qui. Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin, voici une excellente video : Le deepfake expliqué.

En somme, le combat contre les fake news est loin d’être gagné. Les technologies et les intelligences artificielles sont en constante évolution, devenant toujours plus puissantes. La principale arme que nous avons reste notre cerveau et notre esprit critique, explique David Aiello. Il est donc essentiel que les citoyens de toutes les générations, et pas uniquement les jeunes, soient sensibilisés et éduqués aux dangers de la mésinformation. Nous avons tous un rôle à jouer dans le combat contre les fake news.


Napoléon et l’Ile Maurice

5 mai 1821. Deux siècles de cela, Napoléon Bonaparte mourrait en exil sur l’île Sainte-Hélène. Empereur des Français et militaire de génie, il exerça une puissance inégalée sur l’Europe du début du 19e siècle. A cette période, l’Ile Maurice était encore une colonie française et s’appelait l’Isle de France. Bien que Napoléon 1er ne soit jamais venu à l’Ile Maurice, il impactera le territoire mauricien et la vie locale de bien des manières.

1. Port Napoléon

Saviez-vous que Port-Louis, l’actuelle capitale de l’Ile Maurice, s’appelait autrefois Port-Nord-Ouest, puis Port-Napoléon ? En août 1806, avec l’avènement de l’Empire napoléonien, le gouverneur Decaen lui donna le nom de Port-Napoléon. Il fut conservé jusqu’à la prise de l’île par les Britanniques en 1810. A la période napoléonienne, le Port-Sud-Est (Grand-Port) changea aussi de nom, pour devenir Port Impérial.

Port-Louis. Photo: Wikicommons
Port-Louis. Photo: Wikicommons

2. Bataille de Grand-Port

Les guerres napoléoniennes ont un lien intrinsèque avec l’histoire de l’Ile Maurice. La bataille de Grand-Port en août 1810 fut la plus grande victoire navale française sous Napoléon et la pire défaite des Anglais. Grand-Port figure donc fièrement sur l’Arc de Triomphe.

Grand-Port sur l’Arc de Triomphe. Photo: Wikicommons.

3. Décret du 20 mai 1802

Par le décret du 20 mai 1802, Napoléon légalisa et rétablit l’esclavage dans les colonies sucrières françaises. Ceci n’impacta pas l’Isle de France car celle-ci n’avait pas reconnu le décret de la Convention nationale de 1794 qui prescrivait l’abolition immédiate de l’esclavage.

Monument de l’esclavage au Morne, Ile Maurice. Photo: CR.

4. De Sainte-Hélène à l’Ile Maurice

Connaissez-vous l’abbé Antonio Buonavita? Ce jésuite corse, missionnaire et globetrotteur était le premier aumônier de Napoléon à Sainte-Hélène. Buonavita fut nommé préfet apostolique de Sainte-Hélène en février 1819 et arriva à Longwood en septembre 1819. Il rentra en Europe dès le 17 mars 1821, pour cause de santé dit-on, mais reprendra rapidement ses activités de missionnaire. Il arriva à Port-Louis le 10 décembre 1828, à l’âge de…76 ans ! Fort de sa notoriété, Mgr Buonavita fut nommé vicaire de Saint-Louis de Port-Louis et recouvrit rapidement ses moyens physiques, sans doute grâce au climat de l’île. Il remplit sa mission avec énergie, jusqu’à y laisser ses dernières forces. Mgr Buonavita décéda à Pamplemousses, Ile Maurice, le 2 novembre 1833, âgé de 81 ans. Ce fut émouvant de se recueillir sur la tombe de cet homme qui a côtoyé Napoléon.

Tombe de l’aumônier de Napoléon à l’Ile Maurice. Photo: CR.
Ce fut émouvant de se recueillir sur la tombe de cet homme qui a côtoyé Napoléon. Photo: CR

5. Code Napoléon

Le Code Napoléon ou code civil, est un code juridique promulgué en mars 1804 qui regroupe les lois relatives au droit civil français. Il a été étendu à l’Isle de France en avril 1808 par un décret du Gouverneur Decaen. Cependant, malgré la prise de l’île par les Anglais, la Convention de Capitulation signée en décembre 1810 stipulait que la colonie française pouvait garder ses lois, sa langue et ses coutumes. Le français fut la langue de la Cour jusqu’en septembre 1843. Par la suite, le Code Napoléon fut modifié par diverses lois anglaises ou d’inspiration anglaise disparates, et adapté à partir de 1983 pour donner naissance au Code Civil Mauricien. L’Ile Maurice a donc hérité d’un système juridique métissé et hybride, avec le Code Civil Mauricien d’inspiration française et la Common law britannique.

Table sur laquelle fut signée la Convention de Capitulation en 1810.
Au Château du Réduit se trouve la table sur laquelle fut signée la Convention de Capitulation en 1810. Photo: CR.
La Convention de Capitulation signée en décembre 1810 stipulait que la colonie française pouvait garder ses lois, sa langue et ses coutumes. Photo: CR
Le Code Napoléon. Photo: Wikicommons.

Bibliographie :

FARRAN. S, ÖRÜCÜ, E, (2014), A Study of Mixed Legal Systems: Endangered, Entrenched or Blended, Routledge.


La rue St Georges et moi

Rue St-Georges.
La rue-St-Georges, mythique et vivante. Photo: CR

Rue Desforges, Rue La Poudrière, Rue La Corderie. Il est de ces rues port-louisiennes mythiques et populaires. Elles appartiennent tellement aux Mauriciens, que malgré quelques changements de noms, ces rues ont gardé leurs appellations d’antan. Forgeries, fabrication de poudre à canon et de cordes pour les marins, ces noms témoignent d’autant de corps de métiers du Port-Louis maritime du 18e siècle.

Le 23 avril, nous fêtons la St Georges. La rue St Georges fait partie de ces rues mythiques, à valeur historique et patrimoniale inestimable. Cependant, ce patrimoine semble vivre ces derniers instants. Les anciennes bâtisses en pierres et en bois sont rasées pour faire place à de grandes aires de parkings ou à d’immenses immeubles en béton, sans âme ni charme. J’écris ces lignes avec une sorte d’urgence contre le temps. J’ai la sensation d’être de la dernière génération à admirer de visu ce qui reste de ces maisons et bâtiments historiques de la rue St Georges, et qui, dans un proche avenir, ne seront plus.

Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs d’enfance, aller à Port-Louis a toujours été une fête. Mon père, qui travaillait dans un magnifique bâtiment en pierre, avait eu la géniale idée de nous y emmener, ma sœur et moi, quelque fois pendant les vacances. Cette escapade était aussi l’occasion pour nous d’aller au Musée de Port-Louis. Nous étions émerveillés devant tant d’animaux, dont un dodo et une énorme carcasse d’un gigantesque cachalot. C’est sans doute de ces moments heureux de l’enfance, que me vient cet amour pour le patrimoine architectural, les vieilles pierres et pour l’histoire en général.

Consulat de France

A l’adolescence, c’est à la rue St Georges que j’ai pu admirer ces belles bâtisses. Non pas que j’ai délibérément choisi d’aller à la rue St Georges, mais c’est plutôt la rue St Georges qui s’est naturellement invitée à moi. En effet, il fut un temps où mon père y travaillait et où mon quotidien matinal était concentré dans cette rue. Mon tonton Christian nous déposait devant la belle église de l’Immaculée Conception, et de là, chacun vaquait à ses occupations port-louisiennes.

Ex Consulat de France, rue St Georges.
Ex Consulat de France, rue St Georges. Photo: CR.

Pour ma part, c’était direction la médiathèque du Consulat de France où la jeune que j’étais empruntait quelques fois livres et magazines. J’aimais beaucoup ce bâtiment, avec son toit en bardeaux, son plancher en bois et le magnifique carrelage de la varangue. J’admirais également la magnifique balustrade en fonte qui ornait la galerie. Ce bâtiment est le parfait exemple des belles maisons créoles, telles qu’il en existait jadis de multiples à la rue St Georges. Je m’y sentais comme chez moi et je m’y étais fait des amis.

Sous la varangue de l'ex Consulat.
Sous la varangue (porche) de l’ex Consulat. Photo: CR.

Une fois jeune adulte, la rue St Georges continuait à s’inviter à mon rituel matinal. C’était le point de rammassage pour la navette qui allait me conduire au boulot. J’avais gardé l’habitude de passer au Consulat tous les matins pour papoter une dizaine de minutes, juste avant de prendre la navette. C’est lors de ces matins qui pouvaient sembler routiniers que j’ai pris le temps d’admirer les belles maisons de la rue St Georges.

St Georges, mangues et meurtre

Certes, il y avait d’abord mon « chez moi », le Consulat, mais il y avait aussi, juste en face, cette petite maison créole abandonnée, mystérieuse. Plus petite et moins pimpante que le Consulat, elle se tenait à l’ombre d’un immense manguier que l’on disait centenaire. On racontait aussi qu’un meurtre y avait eu lieu jadis. Le propriétaire de la maison aurait surpris quelqu’un qui volait des mangues et l’aurait abattu d’un coup de fusil. Je regardais donc cette vieille maison coloniale avec autant d’admiration que d’appréhension. A travers la grille d’entrée, je pouvais apercevoir un vieux fauteuil poussiéreux en rotin. Il trônait là, au milieu de la varangue où étaient jonchées pêlemêle feuilles sèches, mangues pourries et fientes de pigeons. Je m’imaginais que le propriétaire était présent, assis dans son fauteuil, fusil en main, aux aguets du voleur de rue St-Georges…

La maison-château

A quelques pas de cette maison se trouvait une autre ancienne bâtisse, mi-cachée à l’ombre de grands sapins et palmiers. A l’architecture coloniale française, cette maison à étage, avec son toit en bardeau, ses lambrequins blancs et ses immenses colonnades au rez-de-chaussée, avait de faux airs de maison-château. La splendeur d’une telle architecture témoignait à la fois de son ancienneté et de la richesse de ses premiers propriétaires. Je trouvais étonnant que cette belle maison servait de siège à une agence de publicité – un domaine symbolisant par excellence l’air du temps, le présent. De plus, je voyais souvent deux grosses cylindrées noires à deux roues dans la cour de la vieille bâtisse. Elles détonnaient. Cette sorte d’anachronisme me faisait sourire.

Ce sont celles qui ont le plus compté pour moi. Elles font toutes trois partie de mon vécu, de mon histoire à la rue St Georges. Aujourd’hui, le Consulat de France a déménagé, mais le bâtiment est toujours là, dans toute sa splendeur. La petite maison créole, fut un temps transformée en restaurant-brasserie, mais il est aujourd’hui fermé et le manguier centenaire abattu. La maison-château est quant à elle abandonnée, croulant sous le poids des siècles, et vouée à la décrépitude.

Mais il n’y a pas qu’elles. La rue St Georges recèle d’autres petits bijoux architecturaux. A valeur historique et patrimoniale inestimable, ils se font de plus en plus rares, mais ils sont encore là. Ces bâtisses de la rue St Georges ont su défier le temps, mais pour combien d’années encore…

Les belles dames de la rue St Georges. Photo: CR.
Cure de l'église de l’Immaculée Conception.
Cure de l’église de l’Immaculée Conception. Photo:CR.


Règles et développement durable

Ce 8 mars, nous célébrons la Journée internationale des droits des femmes (JIF). Le thème de cette année, L’égalité aujourd’hui pour un avenir durable, met en avant l’importance de faire progresser l’égalité des sexes dans le contexte de la crise climatique. Selon ONU Femmes, les femmes et les filles « participent à des initiatives de développement durable dans le monde entier, et leur participation et leur leadership se traduisent par une action climatique plus efficace. »

Ces initiatives peuvent être à toute échelle : allant du Friday’s for Future mondial de Greta Thunberg, à la femme qui décide de faire du compost au fin fond de son jardin. Dans la lutte pour un avenir durable, chaque action, aussi petite soit-elle, compte. Selon son pays, son âge, sa langue, ses moyens financiers ou sa notoriété, chacune peut agir différemment, à sa façon. Mais il y a une chose que toutes les femmes du monde ont en commun.

Il y a une chose que toutes les femmes du monde ont en commun. Crédit photo: CR.

On ne naît pas femme, on le devient, disait Simone de Beauvoir. Dans bon nombre de sociétés du monde, l’arrivée des premières règles représente CE moment, l’instant-T où l’on deviendrait femme. Longtemps tabou, il est aujourd’hui plus facile de parler des règles, car l’accès aux protections menstruelles s’inscrit, de plus en plus visiblement et explicitement, dans la lutte pour l’égalité des sexes. Par ailleurs, l’urgence climatique veut que le développement durable soit dans l’air du temps. Force est de constater que les protections menstruelles féminines se mettent également au diapason de ce développement durable.

Tampons biodégradables, cups réutilisables, serviettes menstruelles lavables, entre autres, sont autant de protections menstruelles que nous retrouvons désormais en rayons. Le principal objectif de ces produits est de privilégier la réutilisation, au profit de protections menstruelles à usage unique (la fameuse serviette dite hygiénique). Dans le long terme, ils visent à protéger notre planète en limitant la production de déchets, et à promouvoir un avenir durable.

La cup menstruelle.
La cup menstruelle, alternative à la serviette traditionnelle. Crédit photo: CR.
Les protections menstruelles se mettent au diapason du développement durable.
Des protections menstruelles biodégradables, au diapason du développement durable. Crédit photo: CR.

Alors, esprit éco-responsable ou bon filon marketing ? Certains sont sceptiques. D’autant plus que les protections menstruelles réutilisables existaient déjà de facto du temps de nos mères et de nos grands-mères. Je vous parle d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. Non, il ne s’agit pas de la bohême, mais bien du temps où nos aïeules portaient littéralement des bandes de serviettes en guise de protection menstruelles. « Ces serviettes devaient ensuite être lavées plusieurs fois à la main. Elles étaient séchées au soleil afin d’être réutilisées lors des prochaines règles », se remémore Simone, Mauricienne de 67 ans. 

Comme quoi, le concept des protections menstruelles réutilisables, c’est tout simplement faire du neuf avec du vieux ! Le fameux recyclage. Comme quoi, les règles c’est le thème parfait pour illustrer le développement durable. Tellement parfait, que cela m’a poussée à tester une… culotte menstruelle. A la fois sous-vêtement et protection menstruelle, cette fameuse culotte est lavable et réutilisable à plusieurs cycles. Elle se veut être une alternative écologique aux serviettes à usage unique.

Porter une culotte menstruelle lors des règles est dans l'air du temps.
La culotte menstruelle est dans l’air du temps. Crédit photo: CR.

Confortable, discret et pas de fuite, le test à flux abondant, s’est plutôt avéré concluant. La culotte menstruelle permet non seulement de réduire les déchets, mais aussi d’alléger les dépenses dans le long terme. Dans un contexte où les protections menstruelles coûtent de plus en plus cher, ceci est un élément non-négligeable. En somme, je ne dirai pas que l’essayer c’est l’adopter, mais presque!

Et voilà, en cette Journée internationale des droits des femmes, soyons fières, parlons de nous, parlons des règles, sans honte ni tabou. Et si les protections menstruelles peuvent contribuer à L’égalité aujourd’hui pour un avenir durable, alors pourquoi pas ? Vive les femmes et vive les règles !


Ile Maurice: Kaya, la légende en lecture

21 février 1999. Cela fait 23 ans que le chanteur Kaya a trouvé la mort dans des circonstances aussi mystérieuses que tragiques. Malgré les années, l’artiste reste présent dans la mémoire et dans la chair de la société mauricienne, si bien que le 21 février vient d’être décrété Journée nationale du seggae, mix entre le reggae et le sega. Des intellectuels aux artistes, chaque Mauricien s’est approprié février 1999, engendrant ainsi une production foisonnante et conférant au chanteur le statut de légende. Regards sur trois livres, visions multiples d’un Kaya multiple.

Regards sur trois livres, visions multiples d’un Kaya multiple.
Regards sur trois livres, visions multiples d’un Kaya multiple.

1. Les Jours Kaya (2000)

Les Jours Kaya de Carl de Souza, nous porte à la rencontre d’une ribambelle de personnages. Santee, Ram, Ma, Nation, des Taiwanaises, des Chinoises, entre autres. Les toponymes sont familiers : Rose-Hill, Balfour, Plaza, Trèfles, route Hugnin. Ce qui m’a frappée dans ce livre, c’est surtout son écriture, d’une traite, sans chapitres ou parties.

Février 1999, où « il se passait quelque chose d’inhabituel, quelque chose dérangeant les saisons » sert de contexte à ce roman. De Souza, d’une plume acérée et sans filtre, parle des préjugés racistes et des non-dits qui gangrènent encore la société mauricienne. «ils l’ont battu, moi je te dis qu’il était sûrement en manque, non ils lui ont éclaté la gueule, personne n’a vu, ils l’ont laissé crever, tu déconnes, ils l’ont fait à d’autres avant c’est pas le premier, c’est pas le premier Créole qui crève en prison »  

Les Jours Kaya, « ces jours sans loi, mais avec beaucoup de feu » est un roman complexe et désorientant. Il nous transporte au cœur du chaos des émeutes de février 1999. Un épisode important et dérangeant de l’histoire mauricienne qui demeure encore toutefois largement tabou.

2. Kaya, autopsie d’une légende (2009)

Ecrit par le journaliste Sedley Richard Assonne, Kaya, autopsie d’une légende, regroupe plusieurs articles de presse, des articles scientifiques, des poèmes et des interviews, tous en lien avec le seggaeman et aux tragiques évènements de février 1999. Le livre traite également du fameux concert de Rose-Hill, évènement déclencheur des jours Kaya.

Bien plus que ces articles mentionnés plus haut, c’est surtout l’avant-propos du livre qui nous touche. En effet, Assonne raconte le fil des évènements, vécu par le journaliste qu’il était alors. Du premier coup de téléphone où il apprend la mort de Kaya, à la nuit passée à dormir dans le van de l’express, aux difficultés rencontrées pour circuler dans une île Maurice embrasée, paralysée par des révoltes civiles… Le récit d’Assonne est exceptionnel. Il retraduit aussi l’angoisse, la peur et la tension qui s’étaient emparée de l’Ile Maurice en ces temps troubles.

Une fois n’est pas coutume, je finirai par le commencement. La dédicace de Kaya, autopsie d’une légende. Une litanie de noms en guise de dédicace. Et pour cause, l’auteur a dédié son œuvre « à la mémoire de tous ceux décédés en cellule policière, avant et après Kaya ». Une liste qui est malheureusement trop longue. Beaucoup trop.

3. Kaya, ant sime lamizer ek sime lamimier (2020)

La dernière œuvre que je vous présente est un excellent recueil d’articles publiés par la Créole Speaking Union. L’originalité de ces publications est qu’elles sont toutes écrites en créole mauricien. Sorti en 2020, sous la direction de Christina Chan-Meetoo, Senior Lecturer, à l’Université de Maurice, ce livre présente plusieurs facettes de Kaya.

La lecture est grandement facilitée à renfort d’extraits manuscrits de l’agenda de Kaya, ainsi que de nombreuses photos en couleur, jusque-là très peu connues. Sans surprise, nous découvrons un homme profondément philosophe, avec un regard très lucide sur le monde, la société qui l’entoure, ainsi que les maux qui gangrènent celle-ci. Les mots que Kaya écrit à son fils, alors que ce dernier était encore en gestation dans le ventre de sa mère, sont particulièrement touchants.

Kaya, ant sime lamizer ek sime lalimier propose également des analyses de certaines paroles de Kaya. Cet exercice démontre, une fois de plus, l’immense richesse littéraire, culturelle et intellectuelle des textes du seggeman. Que soit sa musique, ou ses textes, on ne peut rester insensible aux productions et aux réflexions de Kaya. Elles sont intemporelles et d’une grande profondeur.

Tous ces livres nous montrent que Kaya était un être profondément humain, avec ses défauts et ses qualités, comme nous tous. Son génie, son talent, son regard avant-gardiste sur la société mauricienne, ainsi que sa mort tragique en ont fait une légende. Que ce soit la Journée nationale du seggae ou tout autre jour, que ce soit lors d’un bœuf entre amis, ou d’évènements nationaux, Kaya s’invite toujours. Naturellement. Instinctivement.